Le voyage est protéiforme. Pour Antoine Pecher, « ouvrir un saut », s’apparente à découvrir une nouvelle destination. Antoine a réalisé de nombreuses expéditions dans les massifs montagneux les plus reculés de la planète. Il marie alpinisme de haut niveau et saut depuis les sommets équipé d’une combinaison ailée qui freine la chute libre. La wingsuit est le dernier sport à la mode qui donne des frissons : discipline ultra exigeante, qui demande une concentration maximale, elle transforme l’homme – qui utilise les courants pour planer et se diriger – en oiseau. Des sauts qui enivrent au point de tout raser sur leur passage et de frôler la mort.
En octobre prochain, Antoine Pecher se lance un défi aussi inouï qu’inédit : réaliser le plus long saut en wingsuit du monde depuis le sommet du Lamjung Himal au Népal qu’il atteindra sans oxygène.
Une échappée singulière, entre l’un des toits du monde les plus sauvages, la pureté d’un vol au long cours et sa propre liberté intérieure. Rencontre avec un explorateur moderne.
Comment es-tu arrivé à la wingsuit ?
Initialement, je viens du monde de la montagne et de l’escalade. Il y a une quinzaine d’années, alors que je grimpais dans une falaise du Vercors, j’ai entendu un gros bruit. J’ai d’abord eu peur, pensant que c’était un bloc de rocher qui tombait. Puis en levant les yeux, j’ai aperçu un homme qui volait dans une sorte de combinaison de chauve-souris.
J’ai trouvé ça complètement incroyable. Je n’ai eu qu’une envie : essayer à mon tour.
J’ai donc dû appris le parachutisme puis le BASE jump – le fait de sauter d’un point fixe avec un parachute- puis la wingsuit.
Voler est devenu un plaisir quasi quotidien, qu’est-ce qu’un vol te procure ?
J’ai passé toute ma vie à apprendre à ne pas tomber des parois que j’essayais de gravir. Pouvoir sauter est une façon de briser un tabou incroyable : avoir le droit de se jeter dans le vide ! Voilà pour le côté symbolique.
Du point de vue des sensations pures, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas une décharge d’adrénaline : rapidement, on s’habitue au fait de se jeter dans le vide et à voler à près de 200 km/h au ras du sol. En revanche, c’est l’état de concentration dans lequel me plonge un saut qui est incroyable. Pendant quelques minutes, il y a une sorte de distorsion du temps. Dans ma vie, je n’ai que rarement connu de meilleur exemple de ce qui pourrait correspondre à l’expression « être ici et maintenant ».
Tu te lances dans un challenge un peu fou, le plus long saut du monde que tu tenteras en octobre prochain depuis un sommet vierge au Népal. 7 semaines sur place, une ascension à plus de 7000 mètres sans oxygène. Et une prise de risque sans précédent. Le dépassement de soi est-elle la seule motivation ?
Je n’ai pas particulièrement le goût de l’effort ou du dépassement de soi. J’ai surtout des rêves. Et, quand ces rêves sont suffisamment ancrés dans ma tête, je ne me pose plus trop la question du dépassement. Juste celle de comment je dois m’y prendre pour réunir tous les morceaux du puzzle qui vont me permettre d’y arriver.
Le projet de ce saut est l’aboutissement de dizaines d’années de pratique et d’entraînement en escalade, alpinisme, expéditions, parachutisme, BASE Jump et wingsuit.
Personne n’a jamais grimpé cette montagne, personne n’a jamais volé aussi longtemps depuis un sommet. J’aime penser que l’on part (avec son co-équipier Eric Jamet, ndlr) dans l’inconnu. C’est mon premier pas sur ma lune à moi !
As-tu conscience de jouer avec la mort ? Comment le gères tu ? Travailles-tu avec un coach mental sur la peur et les limites à ne pas dépasser ?
Que ce soit l’alpinisme ou la wingsuit, même si les risques sont différents, ce sont des activités qui restent clairement engagées. Donc, oui, j’ai tout à fait conscience d’avancer sur une ligne de crête fine. Mais je ne joue pas avec la mort. Je joue avec la vie.
La prise de risque me procure un plaisir d’abord intellectuel : celui de réussir à comprendre les différents dangers auxquels je me confronte, de choisir mes stratégies pour gérer ces risques et de prendre mes décisions en pleine conscience.
La peur est un mécanisme de protection très efficace à condition qu’elle ne soit pas inhibitrice. C’est juste une alerte qui nous met en éveil. La stratégie qui me convient est d’essayer « d’objectiver » ces peurs en me concentrant sur les mécanismes à mettre en place pour faire face aux différents dangers que j’identifie. Si mon cerveau est occupé à mettre des comportements spécifiques en place, il ne lui reste plus d’espace disponible pour subir des émotions destructrices !
Je ne travaille pas avec un coach mental car j’ai moi-même une formation de coach mental puisque j’ai travaillé dans le sport de haut niveau pendant quelques années.
A quoi sert cette « brulure du risque » dans ton cheminement personnel ?
Je ne sais pas vraiment ce que tu entends par « brulure du risque ». Mais disons, que pendant une grande partie de ma vie – je travaille comme Guide de Haute Montagne (à Chamonix, ndlr)- j’ai été occupé à « gérer » plutôt que de « prendre » des risques.
C’est la condition nécessaire pour pouvoir évoluer dans ces milieux -hautes montagnes, air, vide – qui ne sont, à la base, pas faits pour l’être humain.
Je le vois donc comme une façon de dépasser sa condition humaine.
Être dans une situation « risquée » c’est aussi un moyen de ne penser qu’à l’instant présent. C’est apaisant. Avoir la chance de le faire dans un environnement aussi beau et aussi sauvage que les hautes montagnes, c’est extraordinaire !
Quelle place la liberté occupe-t-elle dans ta vie ?
C’est une valeur fondamentale qui a toujours orienté mes choix et irrigué ma vie. Mais la liberté s’exerce toujours par rapport à un cadre, des règles et des contraintes. Étant né en France, j’ai eu la chance de pouvoir construire mon propre cadre. Je n’aurais sûrement pas cherché la même liberté si j’étais né au Pakistan ou en Ukraine, j’en suis pleinement conscient.
Ma contrainte principale à moi, c’est la gravité.